Enfers et convalescence

Dernier saut

Ça fait deux mois que tu es parti. J’ai l’impression d’avoir passé ces soixante jours hors-temps. En me laissant, tu m’as jeté violemment face à mon enfance, face à cette petite fille en colère, triste, abandonnée. Il a fallu en prendre soin. Ce soir, je me rends compte que deux mois, ça commence à faire long. Il était clair que j’avais besoin de temps pour digérer la vérité. Pour arracher ces lentilles roses de mes yeux et voir que non seulement tu m’avais menti, mais aussi que je m’étais menti. Je savais ce que tu étais depuis le début, mais j’ai choisi de rester pour preuve du contraire, en l’honneur de ce que l’on avait pu avoir au départ. Je me suis accrochée à ce rêve, à cette extase, celle de la rencontre, de la fabuleuse rencontre et de la fabuleuse surprise de nos âmes qui se frôlaient avec une pareille grâce, une pareille légèreté avant de descendre dans la passion noire de nos blessures. Puis au final, j’ai fini par comprendre ; seulement des miennes.
Je suis restée stupéfaite trop longtemps. J’ai nourris cette facade que tu m’as vendue dès cette première après-midi au café, ta timidité, ta sensibilité, ta délicatesse. Et je l’ai régurgité ces deux derniers mois. C’était dur, de repasser devant cette crêperie à laquelle on était allé un peu plus tard, cette première fois. Je nous revois, excités de se découvrir, mais quelque peu gênés, je te revois fuyant mon regard de temps à autres. Et je ressens ton odeur, devant le tram, tu t’étais penché pour me faire me faire la bise et tes lèvres ont effleurés mes joues, les poils de ta barbe piquaient ma peau.
Les larmes me montent quand je relis nos vieilles conversations nocturnes. Je me demande où tu es passé.
Et dans mon lit, je te revois. Et je m’amuse à recréer la chaleur de ton corps, la douceur de tes paumes. Je me souviens de la première fois que tu m’as embrassé, dans la cuisine. Tu es sorti de la salle de bain et tu m’as interrompu, tu avais l’air d’avoir sorti tout ton courage pour briser la glace. Tu t’étais fait beau pour moi, une chemise bleue-jean, un manteau noir, une mèche de cheveux bouclée qui tombait gracieusement sur le côté de ton visage.
Et je me souviens de cette soirée au bar, ma jambe par dessus la tienne, ta main sur ma cuisse, ma tête posée contre ton épaule, ton sourire espiègle après avoir fait une blague salace, et la mélodie de ta voix lorsque tu m’as confié:
- J’aime ce moment...
À chaque fois qu’on se disait au revoir, tu revenais toujours sur tes pas pour un dernier baiser. Et la dernière fois que l’on s’est vu, c’est moi qui te l’ai donné. Je me suis précipitée vers toi alors que tu prenais ton vélo. Un dernier bout de toi. Peut-être que ce soir là, tout au fond de moi, je savais que c’était la dernière fois.
C’est fini, il me faut l’accepter maintenant. Tu es parti, tu n’as pas su me donner d’explication satisfaisante et tu es parti. Et pendant que je pleurais, tu touchais une autre. On ne s’est même pas vu. Un message et c’était bouclé. Je pensais que tu avais un minimum de respect pour notre histoire pour me donner de vrais au revoir. J’ai eu si mal. Mais ça fait deux mois. Deux mois de larmes, de colère et d’incompréhension. Deux mois que j’attends ton retour. Il faut que j’avance. L’été a été long. C’est suffisant. Je crois que je suis prête à l’accepter.